C’est suite à plusieurs rencontres avec le fondateur et le parolier des Funambules que Cédric Le Men s’engage dans la réalisation du clip de "Au début", chanson qui raconte les allers et retours sensuels et amoureux d’hommes et de femmes pris dans les heurts de la société actuelle.
Quand le réalisateur commence à parler de son projet à son directeur de la photo,Laurent Héritier, il a le concept en tête : la danse et le noir et blanc se sont imposés tout de suite. « Ce choix du noir et blanc a été instinctif. C’était évident. La danse est un moyen d’expression puissant et très sensuel qui semblait très évident pour une chanson qui parle d’amour et de sexe. Les contraintes financières étant de plus assez lourdes, il fallait avoir quelque chose de pas trop cher à filmer. Ce compromis était donc le plus payant et le plus facile à réaliser. »
Les studios de danse n’ont au plus que 4 mètres sous plafond et aucun de ceux visités en repérage ne provoque de coup de cœur chez Cédric, qui suit donc Laurent vers le plateau de 220 m² du studio Jours Tranquilles à Clichy.
L’endroit est doté de suffisamment de hauteur sous plafond pour tourner les plans top shot déjà prévus au découpage. Il y a eu deux demi-journées de répétitions des danseurs, au cours desquels le réalisateur est venu les filmer pour découvrir la chorégraphie assise et déterminer quels axes exploiter. Musicien à l’origine, Cédric pose la liste de plans sur la time-line du morceau, suivant les mesures, et ne dirige le chorégraphe, Wilfried Bernard, que pour gérer les entrées des personnages et donner les grands axes. Au final, vingt-neuf plans sont tournés, divisant la chorégraphie selon les entrées des différents personnages. Le studio offrant un confort de travail incomparable, il est possible de tourner le clip en une seule journée de travail, avec des pré-lights la veille.
Pour Laurent, « meilleur est le concept à filmer, plus c’est facile, et c’était le cas. Quand ce qu’on doit filmer est beau, l’image est simple à faire. Cependant le noir et blanc est plus complexe qu’il n’y paraît… Le rendu de l’image devait être soyeux, avec assez de contraste et de la richesse dans les noirs et de la nuance sur les carnations. Ce sont donc les optiques de la série Vantage One T.1 qui sont idéales. Leur rendu est différent selon l’ouverture à laquelle on travaille, et là, en choisissant de tourner à F1+2/3, elles offrent la douceur désirée, sans aucun filtrage. » L’effet de frange, de dédoublement des contours sur certains gros plans des corps est obtenu grâce aux Vantage Strip Diopters : des lamelles de dioptries dont on règle l’emplacement à la main devant l’optique, à l’aide du para-soleil qui va avec.
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La caméra Alexa Plus vient également de Vantage, et le codec Apple ProRes est choisi (le RAW n’étant pas nécessaire pour la diffusion prévue), ainsi que la courbe "Log C" de l’Alexa, qui donne beaucoup de marge à l’étalonnage tout en limitant la taille des fichiers. L’enregistrement se fera donc en couleurs, par défaut. Suite à une discussion avec des étudiants de La fémis et de Louis-Lumière qui avaient effectué des tests électroniques, Laurent choisit de poser à 200 ISO (alors que la sensibilité nominale de l’Alexa est donnée à 800 ISO), pour gagner de la matière dans les noirs.
Tout est cadré à la grue (fournie par Next Shot et opérée par le chef machiniste aguerri Bruno Dubet) et aux manivelles, y compris les travellings pour gagner du temps, malgré le chemin courbe imposé par la grue. Les plans en hauteur sont prévus depuis le début, ainsi que le fait de déplacer la source de lumière pour faire tourner les ombres sur ces top shots. C’est donc un projecteur Fresnel posé sur une autre grue qu’il faut synchroniser avec la rotation de la caméra, tout ça à la main…
Le reste de l’éclairage, fourni par Transpalux (pas plus de 20 KW au total, grâce au diaph très ouvert), en tungsten uniquement, est extrêmement diffusé, dans des cadres.
Laurent ne regarde jamais le moniteur pour la lumière, il travaille seulement avec la cellule, l’oscilloscope et l’œil. Le moniteur est réglé en Rec. 709, l’espace couleur standard en diffusion HD (avec la saturation à zéro !) pour le réalisateur, qui est attentif au cadre mais fait confiance à Laurent pour la lumière. Pour Cédric : « On part du principe que chef op et réal forment un couple. Ce n’est pas sur le plateau qu’on élabore la lumière, il faut pouvoir se consacrer aux comédiens et au cadre. On règle les problèmes avant, sur le plateau on manque de temps. C’est en prépa qu’on a du recul et qu’on peut changer d’avis. Après on peut être exigeant sur le cadre, et demander beaucoup de prises ! »
Pour Cédric, pas de story board : c’est trop rigide et si on manque un plan prévu, on est coincé. Il préfère observer les comédiens pendant les répétitions, puis regarder le moniteur. Comme il découpe beaucoup, sur une journée il supprime des plans, adaptant la mise en scène à ce qu’il voit.
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Les top shots sont tournés en premier (au 17,5 mm), puis les axes horizontaux, avec les danseurs montés sur praticable pour pouvoir faire de très légères contre-plongées. Cédric demande les angles de champ et c’est Laurent qui choisit précisément les focales, quitte à ne pas être toujours d’accord, le goût pour les longues n’étant pas forcément partagé… Pour donner le choix du ralenti au monteur pas mal de plans sont tournés à 50 images par seconde (il est plus simple de revenir à 25 i/s que l’inverse !).
Le montage demande au total une journée et demie, au plus. Réalisateur et monteur, Yves Le Jolie, travaillent ensemble depuis 15 ans, donc ils ont des références communes qui permettent d’aller plus vite. L’image est toujours montrée en Rec709 « plat » mais le contraste est boosté à cette étape de prévisualisation, pour voir les noirs profonds. Les seules retouches appliquées sous After Effect sont le redressement de la déformation latérale de la très courte focale et l’effacement de la ligne entre les deux plateaux du praticable et de certains éléments dans le noir bord cadre (pieds de projecteurs…)
L’étalonnage se fait en huit heures, chez Mc Murphy (en HD sur Resolve, sur un moniteur de 30 pouces).Aline Conan et Laurent ayant déjà eu l’occasion de travailler ensemble en noir et blanc, ils avaient fait des essais de maquillage et de déco pour jouer sur les contrastes dès la prise de vues (comme les fonds de teint bleus, verts ou brique du pré-cinéma en couleurs). Après quelques tests d’étalonnage des images enregistrées en Log C, Aline choisit d’utiliser la LUT Rec709 de l’Alexa.
Au moment des back-ups, Laurent demande un fichier jpeg de chaque axe et les retouche un peu de son côté, pour pouvoir ensuite s’en servir comme référence et montrer à son étalonneuse dans quelle direction il veut aller. Pour Aline, il faut ensuite réinterpréter la vignette qu’envoie le chef op, parce que l’image du film est en mouvement !
D’abord, on met évidemment la saturation à zéro, puis on choisit les plages de noir et de blanc – ici, le fort contraste est recherché – et notamment les valeurs de gris pour les tons chairs.
Pour Aline, un projet en noir et blanc est plus simple, en général. D’abord, parce qu’il est encore plus réfléchi par le réal et son chef op, en prépa et au tournage. Et à l’étalonnage, une fois la gamme de gris désirée trouvée, Il faut uniformiser d’un plan à l’autre. Mais on n’a plus certains problèmes qui peuvent apparaître en couleurs : il n’y a pas de dominante ni de couleurs parasites dans les ombres et les surexpositions et les raccords se font sur les contrastes uniquement. Le plus gros du travail sur les images de Laurent, c’est peaufiner ce qui a été conçu en préparation. On ouvre bien quelques fenêtres pour « nettoyer » des rayons de lumière parasites… Mais c’est tout.
Pour Laurent, l’étalonnage est de plus en plus fondamental dans le travail du chef op. Et pour Aline, on ne peut pas tout faire à l’étalonnage, surtout si on n’en a pas parlé avant. Une image retouchée ne sera jamais plus jolie que quand beaucoup de choses ont été créées avec la lumière : « on peut être là juste pour aboutir le projet et trouver l’image du film. On peut aussi développer une esthétique particulière. Mais plus c’est réfléchi en amont, plus on a le résultat qu’on voulait. »
Laurent : l’étalonneur/se est « le deuxième œil du film, qui entre dans ton cerveau pour comprendre ce que tu veux et est plus vierge et objectif que toi. Comme le monteur pour le réal. Avec Aline on travaille ensemble, on cale l’image globale, puis on fait venir le réal et on lui présente le résultat. En l’occurrence, Cédric a fait remonter la densité (éclaircir), et voulait des vrais noirs et blancs, de la brillance sur certaines peaux. Puis on corrige selon ses retours et on lance les « masques » et les détails. L’étalonneur te remet dans ce que tu veux parfois. C’est « la scripte du chef op ». Comme moi, en tant que chef électro, avec le chef op. »
Aline : « Je suis là pour comprendre ce que veut la personne, puis pour appliquer ça tout au long du film. Ensuite on le revoit dans la globalité, et je travaille en plusieurs passes. Mais il faut garder du recul, être sûr qu’on va toujours dans la bonne direction. J’aime bien les images références parce que les visuels, même variés, donnent des repères et permettent de comprendre mieux que des mots génériques, que les gens n’utilisent pas pour les mêmes raisons. Il s’agit pour moi de réussir à comprendre ce que la personne veut (le chef op comme le réalisateur) pour lui apporter quelque chose et lui faire perdre le moins de temps possible. »
Pour Cédric, un couple similaire se forme entre le réalisateur et son directeur de la photo : « c’est le boulot du chef op, donner aux images un sens que le réalisateur propose. L’un complète l’autre. »
Laurent répète : « quand on a un bon concept devant la caméra, après c’est facile. Et il ne faut pas avoir honte de faire des essais, proposer des choses sur ce qu’il y a devant la caméra : le maquillage, le décor, etc. C’est la majeure partie des essais, choisir l’esthétique qui soutient le fond, le propos du réalisateur. C’est ça qui induit tout le reste, c’est la base des choses. »
Et pour conclure, Cédric rappelle… « Et après les relations humaines entre les gens, la confiance, ça simplifie énormément les choses. Stéphane Corbin des Funambules était sur le plateau, je lui avais décrit ce que je voulais avant, il était très content ! »